À Rennes, les critiques pleuvent sur Habib Beye. Et pourtant, si l’on s’en tient aux faits, rien ne justifie l’ampleur du déferlement médiatique qui l’entoure. Après sept journées de Ligue 1, son Stade Rennais pointe à la huitième place, avec une seule défaite, neuf buts marqués et dix encaissés. Ce n’est pas flamboyant, mais c’est solide. Ce n’est certainement pas catastrophique. Et pourtant, le climat autour du technicien franco-sénégalais ressemble à une mini-crise, entretenue par une partie du microcosme médiatique et même, semble-t-il, par quelques tensions internes.
On lui reproche tout et son contraire : son discours, son attitude, sa communication, sa rigueur. On l’accuse d’être trop sûr de lui, trop intellectuel, trop « consultant ». Comme si le simple fait d’avoir eu une carrière médiatique avant d’être entraîneur suffisait à disqualifier sa légitimité sur un banc de Ligue 1. Beye paie aujourd’hui le prix de son franc-parler passé. Sur Canal+, il n’avait jamais hésité à analyser, à critiquer, à remettre en question les idées reçues du football français. Il a dérangé. Et ce qu’il subit désormais ressemble étrangement à un règlement de comptes différé.
Car sur le plan sportif, le bilan est cohérent. En moins d’un an, il a redonné un cadre, une identité et une discipline à une équipe sortie exsangue du passage de Jorge Sampaoli. Rennes, en janvier dernier, flirtait avec la relégation ; aujourd’hui, elle rejoue, elle construit, elle encaisse peu. Ce n’est pas encore spectaculaire, mais c’est du travail. Beye a osé des choix forts, a imposé un pressing plus compact, une relance plus directe, un jeu collectif plus exigeant. Bref, il entraîne.
Mais en France, on n’aime pas les figures qui ne se contentent pas de « faire profil bas ». Beye parle bien, il pense le football, il assume ses convictions : cela dérange. Et lorsqu’il ose dire que « ce qui est dit est incroyable » ou que la pression médiatique est « démesurée », il ne fait que constater une évidence : on ne juge plus ses résultats, mais son image.
Le fameux « clan lensois » — Brice Samba, Seko Fofana et d’autres — serait en froid avec lui ? Une rumeur, rien de plus. Pourtant, il suffit de quelques phrases sur un plateau ou d’un tweet rageur pour que l’opinion publique se retourne.
Certains vont même plus loin, y voyant un biais plus profond : une intolérance à l’ambition venue d’un homme noir dans le football français, surtout quand il refuse d’endosser le rôle attendu du « coach modeste » ou du « symbole discret ». Beye, lui, revendique sa compétence, sa culture tactique, son exigence. Et c’est peut-être cela qui dérange le plus : il incarne une génération d’entraîneurs qui veulent sortir du cadre, bousculer les hiérarchies établies.
Alors oui, tout n’est pas parfait. Oui, Rennes a concédé trop de nuls frustrants. Mais à ce stade, le procès intenté à Beye n’est pas sportif — il est symbolique. Il révèle combien notre football reste prisonnier de ses codes, de ses réflexes, de ses rancunes médiatiques.
Et si on le laissait, enfin, faire simplement son métier ?